17.5.07

Partie de Chasse au mont Ararat.

Je me souviens, c'était à Dogùbayazit, une ville du bout de la Turquie qui s'étale là sur un vaste plateau de l'Anatolie Orientale, entourée d'une chaîne de montagnes déchiquetées au coeur du Kurdistan.

En mars, on s'accommode encore de la neige et du froid. Certains jours le ciel peut être d'un bleu si limpide et généreux qu'il laisse alors découvrir le mont Ararat, volcan légendaire depuis la nuit des temps, depuis Noé et son escorte.


Aujourd'hui plus de la moitié de la ville est encore occupée par l'armée, venue il y a de nombreuses années calmer les ardeurs indépendantistes des Kurdes.
Ambiance kaki d'un coté et quelque peu résistante de l'autre.


Facile de se faire des copains, nous attirons comme des mouches toutes les grosses moustaches rigolardes, chaleureuses et aussi authentiques que leur envie de faire disparaitre cette mauvaise image qu'on leur colle à la peau..
" Kurdish no problem"

C'est un grand jour qu'on allait vivre. Il y avait Parashût, son copain Salih, Mahmoud le chauffeur, Zoltan le discret, les deux cyclotes Frenchies aux yeux écarquillés.
Drôle de bande !

Depuis le matin chacun s'affairait pour se retrouver vers les 10 heures. Tous partis dans la Fiat poussive. Embarqués vers la montagne. L'Ararat ! Pas le Büyük mais le Kücük, l'autre Ararat, celui des pâtures et des bergers.
Nous voici entassés à six dans la boîte, offrant le spectacle d'une famille Italienne sur la route de la Riviera.

La voiture vire à gauche, s'engouffrant sur une piste jaunâtre et poussiéreuse ???
- " Pour éviter le Check-point ! "
- " ah bon ! "
La Fiat s'enfonce,le cardan hurle, les vitesses craquent,No problem !
Tout le monde saute sur son siège, se ballote de gauche à droite dans la bonne humeur et le silence. La fumée épaisse des " Marlboro Teckel" envahit l'aquarium, l'auto-radio crache de la musique Kurdish. Hop là !

Traversant les villages à toute allure, slalomant entre les poules et les chiens qui déferlent sur l'auto à grand coup de gueule pour venir arracher les pneus et se jeter sur la carrosserie. Le fou rire gagne du terrain.
Les virages se font de plus en plus serrés, la pente de plus en plus prononcée, les amortisseurs n'en peuvent plus, ça frotte, on marche un peu pour délester l'auto. Peut être allons nous faire l'ascension de l'Ararat en Fiat 135 ?
A plus de 2500 m, sur un plateau sec, bordé de barres rocheuses, de coulées de laves couleur de cendre, tous se préparent. Le scénario cent fois rodé, la poitrine bardée de cartouches, ils disparaissent en galopant dans la montagne comme si leur temps était compté.

Il faut plumer les corps tout chauds, nettoyer la chair sanguinolente, extirper les plombs d'une main mal assurée et pouvoir, une heure plus tard , mordre à pleines dents dans cette chair à peine grillée, un piment dans l'autre main.
Ca sent le sauvage, la plume mouillée et le sang frais. " Le koze Lama ", la perdrix Kurde à consommer sans modération.

Le vent se lève, le soleil disparait, le froid devient saisissant. Les moustaches se promènent encore dans la montagne, leur montagne.
Voraces, souriants, ils se défient dans un dernier concours de tir à la bouteille, à la boîte en plastique, à la tomates...ne s'étonnant de rien.
La Fiat 135 patine sur la glace, se laisse glisser tous phares éteints sur la piste retrouvée. Tous concentrés, à arracher les derniers morceaux de perdrix restés coincés entre les dents.
La quatrième refusant toujours de passer, la fiat hurle sur l'asphalte dans le noir.
Impassible, les 4 moustaches jettent un coup d'œil furtif en direction des lumières du " Check-point ". No problem !

Une journée particulière avec les Kurdes de Dogûbayazit en Février 2001.
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